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28/07/2006

Point de vue: une illégitime attaque

Ce n'est pas dans mes habitudes de publier ici le point de vue des autres mais des amis me demandent de relayer cet article de Pierre Blanc, enseignant-chercheur, membre du comité de rédaction de la revue Confluences Méditerranée. Je le fais bien volontiers tant je partage cette analyse.

Depuis le début des affrontements entre Israël et le Hezbollah, beaucoup de responsables en Europe et aux Etats-Unis condamnent les agissements de la milice libanaise, tout en justifiant le droit d’Israël à se défendre. S’il n’est pas contestable de critiquer haut et fort l’action menée par le Hezbollah et parrainée par qui l’on sait, il est extrêmement mal venu de légitimer une « réponse » israélienne que d’aucuns auraient quand même préféré plus mesurée, sans pour autant en remettre en question le bien fondé. Si le caractère peu moral de l’action de la milice chiite est souvent souligné, il n’en est pas de même pour Israël. Partant, nous nous devons de déconstruire un certain discours marqué du sceau de la partialité.

 

Cet épisode sanglant a certes commencé par la capture de deux soldats israéliens par la milice libanaise. Cependant plutôt que d’engager une négociation à l’évidence plus efficace pour obtenir leur libération, Tsahal, sur ordre de deux leaders politiques sans passé militaire mais en quête de légitimité dans leur pays, a engagé une attaque massive du Liban pour y détruire le dispositif du Hezbollah.

 

 

Ne nous leurrons pas, cette capture a constitué le prétexte au lancement d’une action qui était déjà dans les plans de l’Etat major israélien. Ne se trouve-t-on pas, dès lors, dans le cadre d’une illégitime attaque, plus que dans celui d’une légitime défense ? Car outre le fait d’avoir déserté le champ de la négociation, l’Etat hébreu est en train de mettre en pièce un pays à peine sorti de la guerre et d’une période sombre d’occupation syrienne. Nous sommes ainsi tous témoins à distance d’une catastrophe dont l’ampleur est encore minimisée : exode d’un demi-million de Libanais (ça n’est qu’un début), morts de civils au nom des sinistres « effets collatéraux », destruction des infrastructures indispensables à la vie d’un pays (ponts, routes, aéroport, entreprises, etc.), tout cela en violation des conventions internationales. Sans compter que ces frappes massives risquent de déstabiliser les équilibres communautaires d’un pays composite, et donc de fragiliser un Etat dont le renforcement aurait permis la démilitarisation du Hezbollah. 

 

 

Pour un Etat fort comme Israël - la force d’un Etat pouvant permettre des sorties par le haut - n’aurait-il pas été plus efficace à court terme d’échanger des prisonniers, à moyen terme de quitter le territoire libanais de Chebaa- un territoire minuscule occupé et qui justifie en partie la résistance du Hezbollah-, et à plus long terme de s’engager dans un réel processus de paix avec les Palestiniens dont les miliciens du Hezbollah se sentent solidaires ?

 

 

Car là est l’autre versant du problème. C’est bien la question palestinienne qui est « la mère des conflits »[1], dans la région et au-delà.

 

Et sur cette question les Israéliens sont également loin d’être dans une posture de légitime défense. Les évènements récents le prouvent, comme d’autres plus anciens.

 

 Ainsi, pendant que se déroulent les bombardements au Liban, la bande de Gaza continue d’être pilonnée au prétexte qu’il faut libérer le soldat Gilad Shalit. Comme le faisait remarquer l’israélien Michel Warchawski dans un article du 19 juillet, « ce sont les bombardements quotidiens de l'artillerie israélienne et les dizaines de morts palestiniens, dont une majorité de civils et de nombreux enfants, qui ont poussé les militants palestiniens à rompre la trêve déclarée par les principales organisations palestiniennes et scrupuleusement respectée par ces dernières depuis plus d'un an.[2] » Et l’attaque israélienne s’est intensifiée au moment où, justement, Mahmoud Abbas était sur le point d’obtenir l’accord du Hamas en faveur du « document des prisonniers », un appel signé notamment par les détenus du mouvement islamiste, en vue de la création d’un Etat palestinien et de la reconnaissance de fait de l’Etat hébreu. 

 

 

Dès lors, le risque était grand de devoir revenir à la table des négociations, avec pour Israël l’obligation morale d’aller plus loin que la simple rétrocession de morceaux de territoires sans viabilité, telle que Ehud Olmert la prévoyait. Car quoique encensés pour le désengagement de Gaza en 2005 alors que l’étranglement du territoire se poursuit, les leaders israéliens actuels ne sont pas prêts à rétrocéder la plus grande partie de la Cisjordanie comme les y invitent les résolutions onusiennes. Il faut dire que, pour l’instant, le parrain américain permet la perpétuation des infractions israéliennes au droit international.

 

Plutôt que de négocier la libération du jeune soldat avant d’engager des négociations solides avec le président Mahmoud Abbas, réputé pour son ouverture, Israël s’est donc saisi de ce prétexte de « légitime défense » pour mettre à genoux une société palestinienne qui sera ainsi de moins en moins en position de faire valoir ses droits.

 

Avant cela, était-on dans le registre de la légitime défense, quand, en novembre 2005, alors que Mahmoud Abbas entamait sa tournée en Europe, Tsahal était allé capturer des détenus palestiniens dans la prison palestinienne de Jéricho ? 

 

 

Est-on dans ce registre, quand à chaque moment crucial, Israël commet des attentats ciblés contre des activistes palestiniens dans l’espoir de délégitimer le discours de la paix du côté palestinien où les radicaux sont engagés, il est vrai, dans la même logique?

 

Est-on encore dans le droit de légitime défense quand au mépris du droit international, un mur, dont le tracé va bien au-delà de la ligne de 1967, coupe des dizaines de villages palestiniens de leurs terres agricoles et de leurs puits, tandis qu’Israël s’arroge davantage d’eau ?

 

Est-on dans la légitime défense quand les chasseurs bombardiers et les tanks n’ont de cesse de détruire toute l’infrastructure publique souvent financée par l’Europe,  et que les soldats au sol, aidés par les colons, déracinent des milliers d’arbres ? 

 

 

Est-on dans ce droit quand la colonisation de territoires supposés être rétrocédés depuis Oslo s’accélère ?

 

Il n’est pas utile de continuer la liste des actions récentes qui mettent en défaut cet argument israélien d’une légitime défense. Il n’est pas utile non plus d’aller plus loin dans l’histoire en rappelant les exactions de 1967 et 1948.

 

 

Il est seulement plus qu’urgent de rappeler à Israël son devoir de paix qui n’a rien à voir avec une lutte pour la sécurité, menée de façon inique. Les temps longs de l’histoire ont montré que cette paix injuste (mais est-ce vraiment la paix ?) mène tôt ou tard à la ruine. Si Israël fait sienne la phrase du psalmiste « paix et justice s’embrassent », alors ses ennemis n’auront plus de justification à l’attaquer.

 

 

 

 


[1] expression de Romano Prodi

[2] Article écrit sur le site de la campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien.

17:23 Publié dans Liban | Lien permanent | Commentaires (0)

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