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05/04/2008

Michel Aoun répond aux questions de l'Orient le Jour

  1095831421.jpg«Ça n’arrive qu’au Liban. » Cette phrase, qui revient souvent dans les propos de Michel Aoun, se veut surtout ironique.

Elle cache mal la blessure de cet homme face aux critiques systématiques dont il fait l’objet au Liban et à l’étranger depuis qu’il a quitté, comme on l’en accuse, le « camp du 14 Mars ». Pourtant, il affirme qu’il n’a pas changé, rappelant les discours élogieux de nombreux piliers du 14 Mars à l’égard de la Syrie alors qu’il était en exil et que ses partisans étaient arrêtés. Le général, qui a voulu cette année se réapproprier cette date symbole, a décidé de manier désormais le sarcasme, puisque sa spontanéité, comme il le souligne, lui est reprochée. Mais il ne se fait plus beaucoup d’illusions sur les grandes démocraties et sur les déclarations de principes. Sa force, précise-t-il, vient du peuple. Et c’est à lui qu’il s’adresse une fois de plus, convaincu que son « destin » est une lutte permanente et que sa vie ne sera jamais un long fleuve tranquille...

Q - En cet anniversaire du 14 mars, n’avez-vous pas le sentiment d’avoir commis une erreur ?

R – « Au contraire. Je n’ai pas changé. Mes opinions sont les mêmes, mais les circonstances changent. Le Liban n’est plus occupé par les forces syriennes et il faut revenir à des relations de bon voisinage avec ce pays. C’est l’autre camp qui a changé et qui, après avoir tenu un discours élogieux à l’égard de la Syrie, est aujourd’hui contre elle, pour être du côté du plus fort. »

Q - L’ensemble de la communauté internationale dénonce le rôle négatif de la Syrie au Liban...

R – « C’est pourtant cette même communauté qui a introduit la Syrie au Liban. En ce qui nous concerne, nos revendications n’ont rien à voir avec la Syrie. Nous voulons une participation effective au gouvernement et une loi électorale équitable. Je voudrais aussi rappeler qu’en juillet 2006, c’est encore la communauté internationale qui a impliqué la Syrie et l’Iran alors que ces pays n’avaient aucun combattant sur le front. Même chose pour le document d’entente que nous avons signé avec le Hezbollah. On l’a qualifié de prosyrien alors qu’il n’y a qu’un paragraphe sur la Syrie et qu’il comporte des points qui ont fait l’unanimité des parties libanaise à la table de dialogue national. »

Q - Mais ce sont quand même la Syrie et l’Iran qui arment le Hezbollah ?

R - « Ceux qui disent cela oublient que l’arsenal israélien vient des États-Unis. Comme si ce sont les armes qui définissent l’identité des protagonistes, non les combattants. »

Q - Si les choses sont aussi simples, pourquoi n’arrivez-vous pas à convaincre la communauté internationale ?

R – « Je n’ai pas à convaincre ni à me justifier. La communauté internationale a fait un choix. Elle se tient aux côtés d’Israël et ne veut rien entendre. La même politique se poursuit depuis 60 ans et le conflit israélo-arabe ne connaît toujours pas une fin heureuse. Cela devrait la pousser à changer... »

Q - Dans ce cas, pourquoi une partie des Libanais serait-elle avec la communauté internationale ?

R – « Il s’agit tout simplement d’une lutte pour le pouvoir. C’est une politique politicienne qui oppose ces Libanais au Hezbollah. Pourtant, le sentiment de solidarité nationale devrait l’emporter. Une partie des Libanais justifie pourtant la guerre contre leurs concitoyens et culpabilise ceux qui se défendent contre les agresseurs. »

Q - Le Hezbollah n’est-il pas un agresseur à certains moments ?

R – « Quand on est visé pour être éliminé comme l’est le Hezbollah par Israël, les mesures prises s’inscrivent dans le cadre de la légitime défense. De plus, le Hezbollah n’occupe pas une partie du territoire israélien alors qu’Israël occupe une partie de notre territoire. Cela ne veut pas dire que je justifie la guerre, mais je ne peux pas refuser le droit du Hezbollah à se défendre, notamment après l’assassinat de Imad Moghniyé. »

Q - Pourquoi ne pas envisager un rôle éventuel de la Syrie dans cet assassinat ?

R – « En suivant cette logique, on pourrait dire que la France a un rôle dans l’assassinat de Chahpour Bakhtiar (l’ancien Premier ministre iranien assassiné en France). »

Q - Depuis trois ans, vous affirmez qu’il n’y a pas de preuve pour incriminer la Syrie dans l’assassinat de Rafic Hariri. Pourquoi n’avez-vous pas la même attitude au sujet de l’assassinat de Moghniyé ?

R – « J’ai déclaré que les indices portent à croire que les Israéliens et les Américains seraient derrière l’assassinat de Moghniyé. Tout comme j’ai dit après l’assassinat de Gebran Tuéni qu’il y avait 90 % de chances que la Syrie soit l’auteur de l’attentat, mais il reste 10 % de possibilités que ce ne soit pas elle... Il y a eu 28 assassinats et aucune piste sérieuse n’a été découverte. Le gouvernement reste accroché à son siège et prétend assurer notre sécurité alors qu’il ne peut se protéger lui-même ! Cela n’arrive qu’au Liban... »

Q - Que se passe-t-il avec Michel Murr ? Votre bloc parlementaire est-il en train de s’effriter ?

R – « Michel Murr a dès le début annoncé son indépendance par rapport à notre bloc et nous traitons avec lui sur cette base. Il a d’ailleurs pris position sur la question de la présidence depuis le mois de septembre. »

Q - Il pourrait donc se ranger aux côtés de la majorité pour élire un président ?

R – « La présidence n’est pas seulement une question de voix. Beaucoup d’États interviennent sur ce dossier et ne parviennent pas à obtenir gain de cause, car leur projet ne bénéficie pas d’un appui populaire. On ne peut pas détourner l’opinion des gens et leur volonté. Un candidat qui détient 65 % des suffrages ne peut être remplacé par un autre qui n’en a que 2,5 %. C’est monstrueux. »

Q - Est-ce le cas du général Michel Sleimane ?

R – « C’est un candidat consensuel. C’est un autre cas de figure. En cas d’entente, il aura nos voix. »

Q - Est-il toujours un candidat consensuel ?

R – « Tant qu’il n’y a pas de changement dans les positions, oui. »

Q - Que pensez-vous du document proposé par les forces du 14 Mars ?

R – « Il a un retard de plus de deux ans. J’avais présenté des propositions constitutionnelles et démocratiques le 15 octobre 2005. Mais la majorité n’avait pas jugé bon d’en discuter. »

Q - Le document du 14 Mars prône une politique d’ouverture.

R – « Comme le dit la chanson, “paroles, paroles, paroles”. »

Q - N’est-ce pas un procès d’intention ?

R - Non, notre expérience est claire avec eux. Leurs méthodes restent les mêmes. Ils sont actuellement en train de distribuer du mazout et de l’essence au Kesrouan et à Jbeil. »

Q - Tant mieux si les gens en ont besoin...

R – « Oui, surtout qu’il s’agit des bénéfices réalisés à travers l’importation du fuel. Ils achètent les voix par le mazout. Mais s’ils donnaient aux gens le courant électrique, ce serait mieux. »

Q - Ceux qui perdent tiennent de tels propos...

R – « Mais non. La majorité essaie, mais les gens ne se laisseront pas faire. Ils ne mendient pas. Ils réclament leurs droits. »

Q - N’avez-vous pas le sentiment que votre popularité a baissé ?

R – « Non, je ne le sens pas. D’ailleurs, où seraient passés mes partisans ? Chez le gouvernement, malgré la faillite généralisée du pays ? »

Q - Peut-être se sont-ils ralliés à Samir Geagea ?

R – « Peut-être. Surtout les déplacés du Chouf et de Aley. 17 % d’entre eux sont rentrés au Chouf et 16,6 % à Aley. Et encore, ils y vont en été seulement. »

Q - Pouvez-vous affirmer en toute conscience que la Syrie n’a pas de visées sur le Liban ?

R – « Ce qui est compte, c’est comment les Libanais traitent avec elle. Sous prétexte de l’attaquer, certains lui donnent le droit d’intervenir et de répondre. De plus, c’est la communauté internationale qui l’a sondée sur la présidence. Personnellement, ma position a toujours été la même – il ne faut pas sonder les autres capitales, ni Damas ni aucune autre. Je suis contre toute intervention étrangère et je n’ai réclamé qu’un gouvernement d’union nationale. »

Q - Pensez-vous que le gouvernement doive participer au sommet de Damas ?

R - Je suis contre sa participation, d’autant que je ne reconnais pas la légalité de ce gouvernement. De toute façon, nous ne nous considérons pas liés par ce que fait M. Siniora. »

Q - L’initiative arabe est-elle toujours en vigueur ?

R – « Les Arabes traitent le dossier libanais avec un manque de clarté. Leur initiative part de bonnes intentions, mais l’enfer en est pavé. Finalement, toutes les initiatives visent à écarter l’opposition de toutes les décisions importantes et de l’élaboration de la loi électorale... »

Q - Sur quoi vous basez-vous pour affirmer qu’il n’y aura pas de guerre ?

R – « Le rapport actuel de force ne permet pas à Israël de mener ou de prendre l’initiative d’une nouvelle guerre. »

Q - Et les navires militaires américains qui sont dans la région ?

R – « C’est une sorte de défilé dissuasif à l’adresse de gens non avertis... »

Q - Le Liban est-il au bord d’une guerre civile ?

R – « Il y a beaucoup de forces de nuisance qui peuvent provoquer des incidents, mais pas la guerre. »

Q - Croyez-vous que le Hezbollah vous dit tout ?

R – « Peut-être pas. Mais je sais lire et prévoir. Au troisième jour de la guerre de 2006, j’avais dit aux ambassadeurs Feltman et Émié qu’un incident de frontière ne cause pas une guerre, c’est juste un prétexte. Il a fallu attendre que M. Olmert dise que la guerre a été préparée depuis mars pour qu’on me donne raison. Je ne cherchais pas à défendre le Hezbollah, mais à expliquer les faits aux citoyens pour qu’ils ne se laissent pas manipuler. »

Q - Vous ne pouvez nier le fait qu’il y a deux projets qui s’affrontent dans la région, et en étant dans le camp antiaméricain, vous êtes de facto dans le camp syro-iranien ?

R – « Je suis avec mon pays. C’est ici que je veux vivre, en harmonie avec mes concitoyens. Qu’on m’explique en quoi consiste le projet américain. S’agit-il du fameux chaos constructif dont on a parlé ? »

Q - Peut-être s’agit-il de renforcer la démocratie ?

R – « De quelle démocratie parle-t-on ? De la loi électorale de 2000 ? Du Hamas ? de l’Irak ? La démocratie, c’est visiblement juste bon pour les Américains. Mais chez nous, pensent-ils, c’est la force qui doit prendre le pas sur le droit. »

Q - Avez-vous renoncé à la présidence ?

R - La fonction n’est pas importante. C’est le rôle qui compte, et le mien est de dénoncer et de combattre la corruption, de contribuer à la réforme et d’appeler au traitement des dossiers urgents – la sécurité, la justice et le développement... »

Q - En somme, votre mission ne finira jamais ?

R – « Oui, c’est un processus de vie, une lutte continue, non un tremplin pour atteindre un poste ou une attitude dictée par des intérêts provisoires... »

 

11:01 Publié dans Liban | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : liban, politique, modem, france, monde

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