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07/02/2011

Histoire inédite d'André Diligent, maire de Roubaix, à propos de sa possible candidature à l'Elysée

J'ai lu cette histoire samedi dans le cadre d'une soirée Modem à Roubaix.        

  

"Ceci me rappelle, et plus encore avec le recul, une histoire assez drôle...

 

andré.jpgNous sommes en 1973, dans l’effervescence de la création du nouveau mouvement des réformateurs, dirigé par un attelage de grande qualité mais des plus dissemblables : Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan Schreiber.

 

Après un ou deux sondages qui mettaient ma popularité en valeur -j’en avais été le premier surpris-, Jean-Jacques s’était entiché de moi et avait même poussé la bonté jusqu’à me consacrer deux couvertures de l’Express, ce que je méritais certes pas. Il s’était persuadé que j’avais « un avenir » et tenait absolument à me le voir suivre. Je ne vous cache pas, soyons franc, que si j’étais un peu gêné devant tant de sollicitude, j’en étais aussi quelque peu flatté, ma modestie dut-elle en souffrir... Mais je n’aurais jamais imaginé jusqu’où irait cette attention particulière !

 

         7 H 30, un matin, le téléphone sonne. Engourdi, je décroche :

 

JJSS.jpg« allo, André, ici Jean-Jacques »

« Jean-Jacques ? », mais j’ai reconnu sa voix : « que se passe-t-il ? »

« Voilà, la convention du Mouvement a lieu dans quelques jours, et vous devriez annoncer votre candidature à la présidence »

« Mais c’est vous et Jean qui êtes à la présidence... »

« Je ne parle pas du Mouvement, je parle de l’Elysée ! »

 

Ce n’est pas possible, je rêve ! Un instant je pense à un énorme canular ou un gag de potache, mais non, c’est bien la voix de Jean-Jacques Servan-Schreiber...

 

« Ecoutez, Bourvil est mort, mais il reste De Funès pour faire le pitre !  Soyons sérieux... »

« Mais je suis tout ce qu’il y a de plus sérieux ! »

 

Je commence à me sentir sérieusement mal à l’aise. S’il insiste dans son projet, je vais tout simplement me couvrir de ridicule, et je n’oserais plus sortir dans la rue, même en rasant les murs. Et comme il insiste, j’essaie une diversion :

 

« En admettant même que votre projet aboutisse, je suis bien incapable de gérer les grands problèmes de la Nation, je n’y connais rien à la question internationale, économique, que sais-je... »

« rassurez-vous André, ce n’est pas compliqué. En ce cas, nous appliquerions la Constitution à la lettre : c’est le premier ministre qui dirigerait ! »... Sans aller jusqu’à me dire que je n’aurais qu’à inaugurer les chrysanthèmes... Il est vrai que ça, au moins, je sais faire !

 

Espèrant m’asséner un coup de massue décisif et incontournable, il rajoute :

 

Lecanuet.jpg« D’ailleurs, Jean Lecanuet est d’accord, et il attend votre coup de fil »

 

Je n’en crois pas mes oreilles... Je raccroche, et reste pensif, partagé entre la raison, une petite pointe de fierté -quand même !- et le côté plutôt grandguignolesque de la situation. Je connais Jean, son réalisme, son bon sens, son humour. Je sais aussi que personne mieux que lui a quelque chance de réussir, après sa formidable campagne de 1965. Par politesse... et sans doute par curiosité, j’appelle Rouen. Jean décroche. Je lui raconte mon entretien avec Jean-Jacques, et ma surprise devant sa proposition qui me semble des plus saugrenues :

 

« je veux bien mourir pour le parti, mais pas de ridicule ! »

 

Mais Jean, de sa voix la plus suave, me répond :

« André, je ne veux pas qu’il y ait le moindre malentendu entre nous : j’ai bien dis à JJSS que j’étais d’accord sur cette combinaison, à condition que tu n’aies aucune chance ! ».

 

Autrement dit, pour l’un je pouvais aller jusqu’à faire la potiche à l’Elysée, et pour l’autre, je pouvais me dévouer à la cause perdue.

 

Mais si je raconte cette anecdote aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour sa drôlerie, mais pour montrer combien il est possible d’avoir une double lecture de la Constitution et du rôle du Chef de l’Etat".

 

André Diligent.