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08/05/2016

La fabuleuse histoire professionnelle de Claude Wyckens...un dépanneur et vendeur hors-pair !

Une vie professionnelle exclusive : de LillSonor à Boulanger !

 

Claude syndicaliste.jpgPour acheter « sa » maison, Claude a travaillé dur. Depuis l’âge de quinze ans, rien ne l’arrête. Rentré par nécessité économique chez Demeyère aux Bois-Blancs, il travaille de sept heures du matin à dix sept heures et quinze minutes. Pas une de plus car il va aux cours du soir à Diderot pour apprendre le métier qu’il a en tête depuis des lustres : radio-électricien. Il oblige son patron à le laisser partir pour apprendre, ce que le dirigeant refuse d’emblée. Qu’à cela ne tienne, le jeune ouvrier va à l’inspection du travail. Le lendemain, il affiche la législation sur les murs de l’usine. Déchirée, il rapplique en surlignant la règle au feutre rouge. Le patron finit par reconnaître les qualités de l’ouvrier, et notamment son volontarisme pour aller dépanner directement chez les revendeurs. A vélo. Jusqu’à Armentières. En travaillant à la chaîne, en meulant ses brûleurs, en découvrant le monde physique du travail, Claude Wyckens fait son apprentissage. La révolte est là, si nécessaire. Il est mis à pied deux jours pour ne pas avoir chaussé les lunettes d’un coéquipier. Il pense déjà que chacun doit avoir sa paire de lunettes. Faute d’avoir voulu mettre celles d’un compagnon de travail atteint d’une infection aux yeux, il attrape une limaille dans l’œil. L’infirmière ne veut pas lui faire de feuille de maladie. Rebelote. Il file chez l’ophtalmologiste qui lui ôte le corps étranger et lui signe une feuille d’accident du travail.

Claude Wyckens n’était pas encore syndiqué mais déjà, il savait défendre ses droits. C’est ainsi qu’il se retrouva contre son propre patron aux prud’hommes à dix-sept ans seulement. Il obtient contre toute attente des indemnités pour les parcours faits à vélo dans le cadre des dépannages. Mais cerise sur le gâteau, il emporte l’affaire pour licenciement abusif. La somme perçue à la clé, il la donne immédiatement à sa mère. Une pratique systématique qu’il maintint jusqu’à son mariage six ans plus tard.

Les cours du soir, il s’y accroche. Après Demeyère qui l’avait licencié, il entre chez Dumanois à Lomme, spécialiste des charpentes métalliques. Un métier difficile qui lui valut de s’empaler le rein sur un fer. Pas encore embauché, il se rend à la visite médicale obligatoire. Là, on lui découvre une sérieuse infection des poumons. Le verdict est sans appel : quinze mois d’arrêt minimum avec obligation de se soigner. Condamné à rester chez lui mais pas à stopper ses études nocturnes. Il commence alors à fréquenter le radio-club de la SNCF, rue Salengro, à l’entrée de la cité. C’est là qu’il retrouve son frère Raymond mais aussi qu’il répare gratuitement les postes de radio-diffusion des cheminots de Délivrance.

Une véritable passion est née. Si la télévision a fait irruption dans les familles en 1954, Claude Wyckens a trouvé toute sa dimension avec elle. C’est le 17 octobre 1956 qu’il fait le grand saut dans le monde de la radio-télé-diffusion. Juste après être rentré de cure, histoire de changer d’air pour ses poumons affectés. C’est sur le plateau d’Assy qu’il passa trois bons mois. Il s’y rendit le jour de ses vingt ans, accompagné de son frère. S’il en est revenu, c’était pour une fille. En fait, les ouvertures dans ce domaine étaient également nombreuses. Mais c’est à Lomme qu’il revient pour vivre et c’est à Lille qu’il signe son premier contrat de travail, en 1956 donc.

A vingt ans, il s’engage avec Monsieur Dumont, rue Charles Quint. L’enseigne affiche Radio-Sylviane et là on fabrique des postes et des téléviseurs. C’est l’époque des premières modulations de fréquence, l’époque des chassis D venus de chez Cathodique. Pour la vente, on agençait le tout avec la marque Sylviane. Dans la petite entreprise, Claude est efficace. Il faut produire trois postes dans la journée. Pour lui, c’est le plus souvent quatre postes qui sortent de son atelier personnel. Pas question pour autant de parader ou de faire le fier. Il n’hésite pas à passer le surplus à son collègue handicapé, qui a souvent un poste de retard. Rapide mais aussi distrait, il arrivait au jeune apprenti de faire des erreurs. Toujours profitables de son point de vue car c’est ainsi qu’il a développé son sens du dépannage, sous l’œil vigilant de Monsieur Albain qui contrôlait la production.

Neuf mois dans l’atelier. Au bout de ces neuf mois, Claude rencontre un certain André Brams. Nous sommes en juillet 1957. Une annonce est parue dans le journal. LillSonor, installée 167 rue Gambetta, cherche un dépanneur télé. A l’essai, Claude fait sensation. Il est embauché dans cette petite entreprise où il va quintupler ses talents. C’est là qu’il va non seulement dépanner mais aussi apprendre à vendre. Grâce à un vendeur italien, Dominique. Dans toutes les foires commerciales, il apprend à vendre des aspirateurs à l’arrachée. C’est les débuts de l’âge d’or de la société de consommation. Pour convaincre la clientèle, il utilise des subterfuges. Des filouteries comme il dit comme celle consistant à laquer la moquette avant d’y déverser la suie. Difficile dans ces conditions de pénétrer le tissu. Facile de vendre les mérites de l’aspirateur. Le début de la publicité mensongère qui a pris de nos jours une dimension toute particulière. Maigre consolation. Les commissions sur les ventes atteignaient 20%. Un mixeur se disputait deux fois le SMIG de l’époque soit un peu en dessous de 1.000 francs. Claude, lui, empochait cinq à six fois le SMIG, ce qui était une belle récompense.

(...)

Claude chez Lillesonor.jpgA LillSonor, Claude va affermir ses connaissances, affiner ses stratégies. Durant dix neuf années. Le patron diversifie son activité et incorpore Claude dans la société pour bons et loyaux services. Au point de faire de lui un fondé de pouvoirs en 1966. De technicien, il devient un vrai commercial, avec un bagou inégalable. La filiale de LillSonor, Set, une petite agence immobilière installée à une encablure, au 113 de la même rue, commence à vendre des meubles sur catalogue. Claude s’en fait, en un rien de temps, une spécialité. Le commerce des postes Thomson en exclusivité également. C’est pour les deux maisons, LillSonor et Set, qu’il fait le dépannage jusqu’en 1976. En fait, il vendait, il dépannait, il montait et il livrait. Dimanches compris car le magasin était situé dans une zone de marché. Financièrement, l’affaire est entendue. Claude est passionné. La santé en prend un coup, sûrement. La vie de famille aussi. Denise en reparlera plus tard. Ce n’est pas dix heures qu’il fait par jour mais souvent quinze voire dix sept heures. Claude est passionné mais pas ambitieux. Le patron lui avait laissé entendre qu’il lui céderait le magasin à bon compte, à l’heure de sa retraite. Claude ne s’entoure pas de garanties. Denise, quant à elle, est depuis le 2 novembre 1956, laborantine en gastro-entérologie au CHR de Lille. Un métier qu’elle exercera jusqu’au 5 mai 1965, quelques heures avant la naissance de son premier fils, Eric.

Quand l’heure de la retraite arrive pour le patron de LillSonor, Claude est licencié économique. En guise de remerciements pour services rendus au centuple, il se voit renvoyé sans explication. L’occasion pour lui de reprendre contact avec le tribunal des prud’hommes et de contacter le syndicat FO, la seule organisation qui accepte alors de le défendre. C’est dans ce cadre qu’il fait la connaissance du premier secrétaire de section FO du commerce non alimentaire, Jean-Pierre Laviéville. Il n’est pas inquiet pour autant car ce n’est pas le travail qui manque. Au regard de son expérience, il n’a qu’à se tourner vers la concurrence. Le secteur est en pleine expansion. On cherche des talents.

Il appelle un certain Bernard Boulanger, qu’il a en personne au bout du fil. C’est muni de son attaché-case qu’il va le rencontrer. Celui qui va se construire un petit empire dans le domaine de l’électroménager veut embarquer Claude Wyckens dans les meilleurs délais. C’est le 31 octobre 1976 que celui qui avait été mis à la porte va rendre les clés du coffre fort, les clés de deux magasins et signe en solde de tout compte, un simple papier de remise. Après quoi, il peut rentrer chez Boulanger. LillSonor disparaît du paysage.

Une nouvelle vie commence pour notre électricien-vendeur. A Bernard Boulanger, il avait posé la question : « Vous me prenez comme dépanneur ou vendeur ? ». Je prends les deux avait-il répondu avec gourmandise. L’idée étant de faire de sa nouvelle recrue un bon sous-directeur de magasin.

Rue Gambetta, à deux pas de son ancienne enseigne, Claude est le nouveau vendeur des établissements Boulanger. Ses anciens clients se ruent dans les rayons. Les anciens vendeurs ne comprennent pas bien le phénomène. Eux campent dans un rayon, lui est partout. Le patron laisse faire. Il est connu. Il connaît les produits sur le bout des doigts. Et puis, il cause pour dix. Il prend l’engagement de se déplacer chez le client. Du jamais vu pour l’époque. Le record est battu le jour où le magasin Boulanger de la rue Gambetta voit les ventes de magnétoscopes augmenter de 326% ! Un record que Claude Wyckens revendique modestement, lui qui a gravi les échelons d’une belle entreprise familiale. En 1978, Bernard Boulanger lui demande de prendre la relève au niveau syndical. FO, avec ses trois cartés, pèse peu face aux représentants du syndicat dominant et tout puissant de l’époque. Il prend son rôle à cœur en créant des formations internes pour l’ensemble des salariés. C’est chez lui qu’il prépare les formations, en filmant ses cours de démonstration. Pour former les vendeurs et les directeurs de magasin, il mobilise toute son énergie. La maison de la rue de l’Egalité est transformée en vraie succursale de la rue Gambetta. On y trouve les appareils en dépôt, ceux en démonstration pour argumenter lors des formations internes. Ceux à dépanner. Ceux à décortiquer. Ceux à découvrir. Pour le remercier, Bernard Boulanger lui a offert un magnétoscope. Un Continental Edison pour la coquette somme de 8.500 francs de l’époque. Quatre fois le salaire moyen d’un bon vendeur en 1982. Un beau cadeau. Un vrai cadeau.

Commercialement parlant, Claude Wyckens noue des contacts pour vendre des magnétoscopes y compris en Afrique. Par centaines. V 2000, Betamax, Philips, Thomson, Brandt, toutes les marques s’exportent. Les temps sont fous. Il se souvient qu’il y avait parfois quatre téléphones qui sonnaient, en même temps, autour de lui. Tous pour lui. Tout cela, c’était finalement dur à maîtriser. La période est exaltante. Mais avec du recul, Claude est persuadé que cette activité abondante a porté atteinte durablement à sa santé. Cumuler onze mandats, peu d’hommes peuvent et savent le faire. Lui est entré dans la petite entreprise des frères Boulanger en 1976. Il en est ressorti dix-huit ans plus tard. L’entreprise comptait vingt quatre magasins dans toute la France.

La philosophie de l’entreprise collait finalement bien avec la sienne, très personnelle : s’occuper dignement de la veuve et de l’orphelin. Avec du recul, Claude se rend compte qu’il a côtoyé beaucoup de monde, qu’il a eu et vu tous les cas. Il a développé sa sensibilité, validé concrètement ses connaissances juridiques, sociales et aussi humaines.

Au moment du départ de Monsieur Boulanger comme il dit, il n’a pas voulu manquer l’occasion. Il fallait saluer celui qui incarnait à ses yeux un cocktail de franchise et d’humanité. Un homme de caractère qui a aujourd’hui quatre-vingt ans, qui connaissait son personnel. Claude fut très fier d’être parmi les cinq de la maison Boulanger à aller chez lui pour fêter ses soixante ans. En retour, Claude n’a pas imaginé un instant que le fondateur quitte l’entreprise sans remettre une médaille du travail aux salariés en activité. C’est alors qu’il suggère à celui qui, affairé dans ses cartons mais qui va laisser là beaucoup de lui-même à commencer par une solide empreinte, d’honorer la cérémonie. Touché, immédiatement, il répond par l’affirmative : « Je suis d’accord et je paie les repas » lance t-il à Claude. Le dernier clin d’oeil de celui qui fut son collaborateur sera de lui réserver la plus grande récompense. Claude confiera ainsi au plus âgé des salariés, René Vanderghoot, le soin de passer autour du cou du patron sur le départ, une grande médaille en chocolat. Voilà comment se termine l’histoire d’une vie professionnelle aussi riche qu’éclectique. Mais pouvait-il en être autrement pour celui qui avait fait la preuve jusque là d’une grande détermination et d’un courage à toutes épreuves ? L’histoire retiendra son vif appétit pour le travail et son peu d’empressement pour l’argent facile. Il a su se tenir à distance des escrocs en tous genres. Incontestablement, il s’est fait avoir à plusieurs reprises. Mais sa nature est restée inchangée. Aujourd’hui comme hier, il peut se regarder honnêtement dans la glace de son miroir. Il n’a volé personne. Il a aidé tout le monde. Ceux qui l’ont côtoyé en sont les témoins vivants.

 

Le combat syndical

Quand il est licencié le 30 septembre 1976, Claude Wyckens, qui n’est pas engagé politiquement, va voir le syndicat qui est le moins marqué idéologiquement : Force Ouvrière. Parce que cette organisation défend concrètement les préoccupations des salariés, elle trouve grâce à ses yeux. Souvenez-vous, déjà sa mère, avait fait le choix de FO quelques années plus tôt, elle qui avait repris une activité en atelier. C’est donc vers ce même syndicat, qui incarne le réformisme et qui est aussi en expansion, que Claude se tourne naturellement. Il ne sait pas encore que c’est sous cette bannière et au sein de cette structure indépendante qu’il mènera des combats efficaces en faveur de la défense du pouvoir d’achat et de la protection sociale. Signe des temps, c’est donc à la porte d’André Bergeron qu’il frappe alors même que le lendemain, il est embauché après avoir ouvert celle de Monsieur Boulanger. La société n’est pas encore un petit empire mais si l’ambiance est familiale et humaine, les magasins essaiment. Rue de Paris, Place de la Nouvelle Aventure, Rue Gambetta, mais aussi à Emmerin, Roubaix, Tourcoing, Wattrelos, etc. L’entreprise a plus de cinq cent salariés sous sa coupe.

Aux élections syndicales de 1978, les CGtistes sont majoritaires avec quatre-vingt neufs voix pour quarante à la CFDT et seulement vingt à FO. A cette même époque, il y a trois syndiqués FO dans les établissements Boulanger. A sa manière et à sa place, en peu de temps, Claude Wyckens va participer à l’essor syndical dans l’entreprise. Lui qui voit derrière le CGT le spectre communiste. C’est le stalinisme et son lot d’atrocités qui ne passent pas chez lui. Raison de plus pour ne pas inviter la politique et sa révolution utopique dans la vie des salariés. D’autant qu’il le confesse, avec la CGT, il n’y a pas de discussion possible à l’époque. Lui préfère le dialogue. André Bergeron, qui tout un symbole a pris sa première carte à quatorze ans, l’année de naissance même de Claude Wyckens, incarne l’ouverture. L’ancien typographe qui a aujourd’hui quatre-vingt six ans continue de raconter comme ce 15 Avril 2008 à Lille, qu’il « était convaincu, et l’opinion avec lui, que les syndicats libres devaient se garder de toute opinion ». Et d’ajouter plus tard : « Il faut accepter que les patrons défendent leurs intérêts et que nous défendons ceux des salariés ». Celui que Claude Wyckens décrit à l’époque comme très à l’aise dans ses conversations et ses discours, a marqué toute une génération de jeunes syndicalistes. C’est donc pour un syndicalisme différent, emprunt de dialogue, que Claude signe. Il sait que c’est pour défendre la cause des salariés, améliorer les conditions de travail, obtenir davantage de congés payés, qu’il s’engage. C’est au service de l’intérêt général des ouvriers, employés et cadres de ce secteur du commerce non alimentaire, qu’il va mettre toute son énergie.

Au départ, il l’avoue lui-même, il n’avait pas les connaissances, juste les rudiments. Au sein de la Fédération des Employés et Cadres (FEC), il fait énormément de formations. La formation, c’est la règle dans un syndicat. C’est ainsi qu’il apprend l’abécédaire du syndicalisme et entrevoit les échelles de la représentation : délégué syndical, délégué du personnel, représentant au comité d’établissement. Des formations, il en a faites sur Lille, au siège départemental de FO rue Barthélemy Delespaul. Mais aussi en France où il était régulièrement convié à des congrès et des conférences professionnelles en tous genres. « On montait à la tribune et on prenait la parole » s’amuse t-il en repensant à ses débuts. Sa façon à lui de gagner en assurance et de forcer le destin.

Au sein de l’entreprise, il a su rapidement inverser la tendance. Sa personnalité a permis d’accroître son influence. La confiance est apparue dans les urnes dès 1980, année où FO fût majoritaire. Il ne fallut donc que deux ans au jeune délégué syndical pour relever le défi et mettre à mal le monopole de la CGT. Pour cette dernière, il était devenu le visage patronal. Un raccourci pour celui qui ne faisait pas de distinguo entre les personnes. Derrière chaque situation, il voyait l’être humain et sa famille. FO, il l’était mais au service de tous, il l’était encore davantage. Dans l’entreprise, FO c’est un peu un « syndicat Wyckens », une organisation spéciale. Il s’était fait l’écho à la fois des directives de Monsieur Boulanger qui voulait que l’on prête attention à la veuve et l’orphelin. Une ambition que Claude avait reprise en la mettant en pratique. Il n’a cure des mots et des grands discours. Ce qui l’anime, c’est la défense des causes à commencer par les plus désespérées.

Là où certains, par dépit, laisse tomber l’affaire, lui la reprend. Tel un avocat des causes perdues, il avance. Il plaide l’indulgence même quand il y a une faute. Il visite les familles en détresse. Il prenait sur ses heures de délégation et aussi trop souvent sur son temps personnel. Syndicaliste, mais aussi assistant de service social, il visite les malades. Un dimanche, il se souvient avoir été avec Denise, faire l’ambulance pour une personne de l’entreprise. Cette passion est forcément devenue envahissante. Dans l’entreprise, les surnoms affluaient : le Bon Samaritain, le Père Révérend Wyckens, Don Quichotte. Aussi sympathiques qu’ils soient, ils en disent long sur l’étendue des services rendus par celui qui n’était finalement qu’un modeste délégué syndical. Sa tâche, il la prenait à cœur, totalement. Au point de le rendre aveugle. C’est ce qu’il suggère aujourd’hui avec le recul des années. Il n’avait pas d’aide. Il prenait sur le temps et les loisirs familiaux. Pas étonnant dès lors que le score de FO progresse à chaque rendez-vous électoral syndical. En 1981, il obtient 93 voix contre 89 à la CGT. Plus tard, il dépasse les cinquante pour cent des inscrits, ce qui confère à FO un pouvoir protocolaire. D’interlocuteur privilégié, il s’installe dans un rôle à sa mesure. Il savait jouer de pressions utiles. Quand la direction ne voulait pas négocier sur les salaires ou les conditions de sécurité, il savait s’imposer, jouer des coudes, entamer la comédie. Avec le directeur de l’entreprise qu’il avait connu comme comptable chez Radio Sylviane, il avait gardé un excellent contact. Il savait le bousculer s’il le fallait. Débouler au siège administratif de Lesquin, sans frapper à la porte, il l’a fait. Quand le devoir l’exigeait. Devant un autre directeur général, il se souvient avoir débité son chapelet. Pour se voir rétorquer : « La colère est mauvaise conseillère Monsieur ».

Ses actions étaient tout azimut. Il n’était pas seulement délégué syndical mais aussi représentant au comité d’établissement puis secrétaire du CE. Plus tard, il trouva sa place au conseil d’administration des établissements après avoir été repris en 1986 par la famille Mulliez. Il était de toutes les commissions, celle de la pêche bien sûr, mais aussi celles du football, de la piscine, des vacances et des fêtes et cérémonies. Il faisait tout cela en plus du travail. A ces tâches diverses et variées, il ajoutait la visite des magasins. S’il ne pouvait être partout, il faisait les déplacements sur ses deniers personnels. Il devient membre du bureau de la FEC et membre de la commission exécutive. Tous les mois, il monte à Paris et il va jusqu’à siéger au Ministère du Travail pour discuter régulièrement de l’évolution de la convention collective de sa branche professionnelle.

Sa réussite suscite des jalousies. Régulièrement, on lui rappelle que le syndicat c’est bien FO. Que le patron c’est un tel et pas lui. Que nenni. Il visite les magasins de France et fédère au nom de la défense qu’il se fait des salariés. Il se souvient de ce jour où il prit trois avions dans la journée pour visiter les trois magasins de St Priest, Bordeaux et Carquefou. Dans le Sud de la France, il syndique à partir du Nord. Une pratique contestée mais qui pour lui se défend. Sans cela, pas de syndicat. Quand il rejoint Evelyne à St Priest, déléguée de site, il sait rassurer et apporter des réponses précises aux questions qui se posent. Ce qu’il a appris en formation, il sait le ressortir avec aisance. Il apporte du réconfort aux employés du secteur. Il indique les erreurs et les pièges à éviter. Il estime avoir « été de bon conseil » pour tous ces salariés syndiqués mais égarés. Des conseils, il savait en donner aussi au téléphone. Monique de Toulouse savait appeler à la maison familiale à minuit, c'est-à-dire juste après le retour de Claude à la maison. Et à cette heure-là, la ligne était moins onéreuse. Cela comptait. A l’heure de la visio-conférence et des numéros verts, on se rend compte que le système D d’hier avait déjà tout inventé.

Quand Monsieur Boulanger vend ses parts de l’entreprise à la famille Mulliez en 1986, Claude reste. Il a juste cinquante ans. Il a des contacts amicaux avec le directeur général Jean-Louis Landrieux. Il siège à partir de 1989 au conseil d’administration en tant que secrétaire du premier comité central d’établissement. Il se souvient de l’époque. « Nous avions de bons rapports et de bons échanges ». Même s’il confesse avec sa casquette syndicale que les temps ont changé. Les enjeux sont étroitement financiers. Les nouveaux dirigeants ont des ambitions plus importantes sur le plan national. Monsieur Boulanger en sait quelque chose, lui qui a tenu l’étendard de son établissement dans cette période agitée des années quatre-vingt. La société de consommation a pris ses marques, la concurrence est partout. On commence à parler de chômage. Claude commence à le ressentir au plan syndical. Il se souvient aborder cette nouvelle vie de l’entreprise avec des méthodes plus anciennes. Il est vite débordé. Même s’il sait qu’il peut maintenant compter sur Irène au bureau. Cela ne suffit pas. Il lui faudrait plus de temps pour faire la tournée des sites toujours plus nombreux. Sa gouaille syndicale, il la transmet par les ondes télégraphiques. Dans tous les magasins, il a désigné des têtes de pont. Voilà FO avec force ambassadeurs dans toutes ses enseignes. Le délégué Wyckens a monté son échafaudage militant. Histoire de résister face aux autres syndicats et histoire de tenir bon face à la direction de l’entreprise. C’est à la maison de Lomme que s’affinent les tracts qui sont distribués dans toute la France. Denise, l’épouse, se souvient avoir participé systématiquement à la rédaction. On rédigeait, on distribuait, on collait.

De toutes ces années, Claude ne renie rien. Il se savait virulent. Il savait qu’il défendait les gens avant le syndicat. Il a su se ménager une vie de famille malgré la passion grandissante. Il a craqué parfois, face à des salariés en souffrance. Il a fait plus que son devoir ne l’exigeait en portant une attention exemplaire à ses camarades de travail, ceux de la Rue Gambetta mais au-delà. Quand la direction eut besoin de lui, pour les tâches les plus difficiles, elle su le trouver. Toujours à la hauteur par humanité. Après son départ de Boulanger, le directeur des ressources humaines, Monsieur Alain François, détaille ses états de service. Instructifs. « Monsieur Wyckens a été l’un des interlocuteurs privilégiés de la direction du fait de l’importance de la section FO, importance qui était le reflet du travail militant et la crédibilité de Monsieur Wyckens auprès du personnel ». J’ai gardé, écrit-il plus loin « le souvenir d’un homme animé de fortes convictions qui se battait âprement pour les idées ou les gens, parfois avec quelques excès dans l’expression immédiate, pris dans le feu de l’action… mais toujours capable d’adopter des positions de conciliation dans un esprit constructif ». Et de conclure : « Cet esprit était renforcé par un attachement très fort à l’entreprise. Monsieur Wyckens faisait partie de cette génération de syndicalistes militants très engagés, parfois trop, mais qui avait d’abord le souci des autres et de la cause commune avant d’avoir le souci de ses propres intérêts comme cela est malheureusement souvent le cas aujourd’hui ».

Cette sorte d’hommage personnel n’a pas fait l’objet d’une publicité. Mais il traduit une réalité. Même si les toutes dernières années furent les plus difficiles. A cinquante huit ans, Claude Wyckens accepte, après quarante trois années de cotisations sociales, un contrat FNE. Difficile de partir joyeux dans de telles conditions. Ironie du sort, la caméra présente lors du pot de départ livre des images sans son. « Sachez que je serai toujours là » fut finalement son dernier mot à l’endroit d’une direction consciente de son attachement viscéral à la maison Boulanger. Cela le motiva pour continuer à conseiller la relève syndicale, emmenée par Christian Bar et Bruno Lahaut.

 

 

 

19:07 Publié dans 2016, Lomme | Lien permanent | Commentaires (1)

Hommage à notre ami Claude Wyckens, un grand merci à lui !

WP_001213.jpgL'homme à la cravate impeccable, l'ami fidèle depuis tant d'années, le gaulliste de toujours, le syndicaliste déterminé, le lommois acharné, le réparateur d'électro-ménagers, l'homme de chez Boulanger, d'une gentillesse sans pareille, s'en est allé.

A son épouse Denise, ses deux fils Eric et Emmanuel, à ses petits-enfants, j'adresse, en mon nom et au nom de toutes celles et ceux qui ont participé à nos équipes citoyennes et militantes depuis 1997, l'expression de mes condoléances les plus attristées et ma reconnaissance pour cette vie d'engagements forts, concrets, nobles.

Cher Claude, merci pour ce que vous avez apporté à notre association Lomme Confiance, puis Lomme à Coeur, pour les milliers de tracts que vous avez déposés dans les boites aux lettres lommoises, pour tous nos échanges toujours courtois, inspirés et constructifs, pour votre détermination et votre bonne humeur.

Avec Gilbert (Deux) ci-dessous, nous faisions une belle équipe ! La meilleure ! Lui en maillot de foot, vous en  cravate, moi en entraineur. A Dieu Cher Claude. Et merci !

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13:00 Publié dans 2016, Lomme | Lien permanent | Commentaires (0)

23/04/2016

18 juin 2016 : Sortie du livre "Le jeu des 7 familles centristes du Nord"...

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Denis Vinckier nouveau conseiller régional

Suite à la démission du maire de Roncq Vincent Ledoux, nouvellement élu député de la 10e circonscription du Nord, Denis Vinckier fait son entrée dans l’hémicycle régional.

par Marig Doucy (Croix du Nord)

Le Lommois Denis Vinckier rejoint l'hémicycle régional suite à la démission de Vincent Ledoux.
Le Lommois Denis Vinckier rejoint l'hémicycle régional suite à la démission de Vincent Ledoux.

Conseiller au sein du cabinet du Président-Recteur de l’Université catholique de Lille, le Lommois n’est pas un novice du monde politique.

Mécaniquement appelé à siéger à la Région, après le départ de Vincent Ledoux, Denis Vinckier, 45 ans, affiche déjà un CV conséquent. Et un engagement ferme : le centre. Peu importe qu’il s’appelle CDS (Centre démocrate social), la nouvelle UDF ou MoDem et qu’il l’emmène tantôt vers une alliance à droite, tantôt vers un regroupement à gauche. « J’accorde plus d’importance au centre et à l’espace que doit occuper le centre qu’à un parti », commente celui qui a adhéré à l’âge de 17 ans au CDS. « Je n’étais pas prédestiné à m’engager dans un mouvement démocrate chrétien ni à militer politiquement mais une intervention de Pierre Méhaignerie lors de l’émission de L’heure de vérité m’a marqué. »

Étudiant à la faculté d’histoire de Lille 3, il fonde l’association des étudiants en histoire. En 1992, il devient président des Jeunes centristes. Au retour de son service militaire, une recommandation de René Vandierendonck, qu’il n’a pas sollicitée, le propulse aux côtés d’André Diligent, le charismatique maire de Roubaix. C’est là qu’il décroche son plus beau diplôme, se félicite-t-il.

Collaborateur d’André Diligent

« Il a téléphoné à la maison, lui l’idole des centristes, pour me proposer un rendez-vous ! Le lundi, j’étais dans son bureau et au bout d’une heure d’entretien, il m’annonce qu’il m’embauche ! » Denis Vinckier sera assistant parlementaire du sénateur André Diligent de 1995 à 2001.

La collaboration professionnelle prolixe des deux hommes se double d’une aventure humaine exceptionnelle. Le bureau du sénateur et son grenier empli d’archives se transforment en deuxième maison du jeune Lommois. « Dans les archives que nous dépouillions, 40 ans d’histoire politique et publique s’écrivaient, c’était passionnant. » Au décès de l’ancien sénateur-maire, Denis Vinckier sera son exécuteur testamentaire. « À son départ, le monde s’est écroulé, j’ai traversé une longue période de deuil », confie-t-il.

Mais l’attaché parlementaire a déjà mis le doigt dans l’engrenage de l’engagement citoyen et politique. En 2001, il a été élu conseiller général du canton de Lomme. Et en 2002, il rejoint la Valenciennoise Valérie Létard, devenue à son tour sénatrice. Mais en 2007, la protégée de Jean-Louis Borloo entre dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy, ce qui n’est pas du goût de Denis Vinckier. La rupture est consommée.

Objectif : mairie de Lomme en 2020

Le Lommois se tourne vers une nouvelle expérience professionnelle : en 2008, il occupe le poste de secrétaire général adjoint de l’Université catholique de Lille, alors présidée par Thérèse Lebrun. Aujourd’hui, il est en charge des instances au cabinet de Pierre Giorgini. « L’université catholique de Lille est une puissance économique formidable, un véritable contributeur au bien commun et au vivre ensemble via les hôpitaux, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, la formation, la recherche… »

Parallèlement, Denis Vinckier s’engage auprès des Semaines sociales et en devient le président régional en 2013.

En 2015, il accepte de figurer sur la liste emmenée par Xavier Bertrand pour les régionales. La démission de Vincent Ledoux marque son retour sur le devant de la scène politique. Où il compte s’affirmer. Candidat vaincu en 2001 puis 2008 à Lomme, il espère remporter la mairie de la commune associée de Lille en 2020.

59160 Lille

04/02/2016

Un tome 2 pour bientôt...intitulé le jeu des 7 familles centristes du Nord...

cover-dv2.jpgOui cela me trotte depuis des mois, surtout depuis que j'ai pris quelques distances avec la politique. Pourtant, elle vous donne la sensation de vous rattraper toujours ou d'être toujours là...Certainement parce que la politique touche à l'essentiel, les conditions du vivre en société, les valeurs, les racines, l'espoir, l'avenir, etc.

Ce premier ouvrage intitulé "Ne cède jamais...dans le sillage d'André Diligent" date de 2006. Il est un témoignage fort et sincère de ma première tranche de militantisme (je suis tombé tôt dans la marmite). Mais il devait de toutes les façons avoir une suite.

Mais ce sera une suite différente.

25 années de militantisme, ça marque. Cela marque même beaucoup. Au centre, j'ai fait des rencontres exceptionnelles. J'ai rencontré des centaines et des milliers de militants, tous différents, tous intéressants, tous compétents, tous attachants, tous émouvants en réalité.

C'est en pensant à eux et c'est pour eux que j'ai décidé d'écrire, avec 25 ans de recul, un jeu des 7 familles centristes du Nord. Oui au delà des frontières du Nord, je ne suis pas très compétent. Mais faire l'exercice sur un quart de siècle pour mettre en perspective une dynamique d'une famille souvent moquée, mais terriblement unie sur l'essentiel, reste difficile.

En fait, il faut écrire les choses. Le monde qui semble aller de plus en plus vite, peut nous faire perdre l'essentiel. Personne ne tombe du ciel. Personne n'est élu par hasard. Mais il faut continuer de trouver des chemins de sincérité comme celui de Roger Behague. J'ai fait son portrait le lendemain de la mort de Jean Saladin, longtemps adjoint au maire de Lambersart. J'avais prévu de l'interroger et il est parti. Le lendemain, j'ai appelé ce militant lommois qui avait connu l'élection de 1947. oui 1947, une époque où le MRP (les centristes de l'époque) ont aidé Arthur Notebart à prendre la mairie de Lomme aux communistes. Voilà, il m'a raconté les choses et j'ai couché son portrait sur le papier. Il est décédé depuis.

Ce travail est utile. Je le dis la veille du travail que nous ferons sur André Diligent, Maire de Roubaix entre 1983 et 1994. C'est à la fois si loin et si proche à la fois...

Portrait de Roger Behague comme une mise en appétit du livre à paraître fin 2016 disons...Une manière de m'encourager.

L’idée de ce livre m’est venue spontanément le jour du décès de Jean Saladin, figure lambersartoise de la démocratie-chrétienne. En effet, je lui avais proposé qu’ensemble nous reprenions sa trajectoire pour éclairer l’avenir. Diminué et aussi mal à l’aise depuis plusieurs années, il n’a pas donné suite. Il est parti avec ses tonnes de souvenirs et sa motivation intacte. Le lendemain, je me suis dit que ce n’était pas possible que ces « militants sans importance » sur la papier partent ainsi. J’ai donc téléphoné au dernier militant MRP lommois. Il n’a pas du bien comprendre pourquoi cet empressement. Jean Saladin parti, j’avais besoin de passer un peu de temps avec lui. Nous nous sommes vus quelques jours après les funérailles de Jean Saladin. Il faisait ses cartons pour aller au foyer pour anciens, Les Roses. C’est qu’il n’est plus tout jeune, il a passé les 90 ans. Il est décédé depuis.

J’ai rencontré pour la première fois Roger Behague en 1993 lors des législatives peut-être, puis en 1997 c’est certain, lors de ma première candidature aux cantonales à Lomme. Je m’en souviens tellement qu’il faisait partie avec Roger Laviéville, des deux soutiens dont j’étais le plus fier. Le premier parce qu’il était un ancien MRP, le second parce qu’il avait participé à la libération de Lomme en septembre 1944. Ces deux-là me suffisaient. Ils ont figuré en bonne place sur mes tracts de campagne.

Ancien du MRP et de la JOC pour Roger Behague, donc. La Jeunesse Ouvrière Chrétienne qui a formé des bataillons de militants. A l’instar de Georges Delfosse et Jean Saladin à Lambersart. Certes, comme porte-drapeau, je le vois à toutes les occasions commémoratives. S’agissant de son rôle de porte-drapeau, une attestation pour 28 années de bons et loyaux services trône sur son meuble de cuisine. Comme il dit, un jour on dit oui et après on en a pour la vie. Pour autant, il continue d’aller ici et là aux manifestations, lundi c’était Rhin et Danube, mardi les funérailles d’un camarade. Avant d’arriver chez lui ce 18 août 2011, c’est sa cousine, lommoise de souche, qui était venue lui rendre visite. La guerre, il l’a passée dans la Creuse où il s’était enfui avec la Présidente de la JOCF, Denise Wicquart. Porte-drapeau il restera jusqu’à ce qu’un plus jeune prenne la place. Mais comme il dit, y’a pas foule…

Roger Behague a eu ses 91 ans, il va vaillamment vers ses 92 printemps. L’idée d’être centenaire semble bien lui aller, lui qui a choisi volontairement de migrer en maison de retraite à quelques pas de sa maison du 17 de la Rue Fernand Guilbert. Il m’indique que demain il sera au 117 de la rue d’à côté, un chiffre en plus, c’est tout. Il est en train de faire des cartons, s’excuse cinq fois pour cela et me raconte quand et comment il est arrivé ici. Il a été un temps attaché au Château, Rue de la Drève, avec des patrons (Delsalle et Thiriez) qu’il garde en haute estime.

A l’origine, Roger Behague est chaudronnier de formation. Ce n’est que plus tard qu’il deviendra chauffeur chez Catteau, une institution à Lomme même si elle vient de quitter la commune. Sa mère était présidente des mères chrétiennes à la paroisse. C’est certainement là que réside pour partie son engagement précoce à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne avec un abbé, le Père Dumortier. De cette période, il garde des souvenirs vivaces comme celui d’avoir construit un local de toutes pièces à côté du patronage. Il y allait souvent. Là-bas, il y avait un billard, des jeux de cartes et toujours un petit coup à boire. Dans ses souvenirs, il y avait beaucoup de réunions et notamment ces fameuses recollections à St Gérard du samedi jusqu’au dimanche soir. Beaucoup des militants qu’il a fréquentés, il les a connus à la JOC dont il était devenu trésorier à la création de la section lommoise. Il avait dit à Victor Polo, toi t’es le plus vieux, tu seras le président. Avec Roger Behague comme trésorier, comme il dit la liste était rendue pleine. Dit autrement, tout le monde avait payé sa cotisation, soit plus de 50 jeunes sur Lomme.

En 1947, il a 27 ans. A cette époque, il s’engage au MRP, le Mouvement Républicain Populaire. Avec André Jésupret (cela ne s’invente pas) qui dirigeait la chorale de Délivrance. Avec Victor Charlet qu’il côtoyait à la Vétérante lommoise. Eux devaient avoir une dizaine d’années de plus que lui. Quand il parle d’eux, avec un sourire fier, il dit que c’étaient de braves types. Aucun doute possible comme pour Eugène-Martin Maisonhaute, impeccable dixit Roger Behague. Ces trois-là avec Raymond Lambin constitueront le quartet de la liste MRP qui se présente aux Municipales de 1947. Roger Behague qui lui se retrouve 14ème va jouer un rôle important dans la constitution de la liste. Si Jésupret a ramené des membres de la chorale de Délivrance comme le cheminot Léon Delaval et Henri Pécriaux, Roger Behague est allé battre la semelle au Marais parmi les responsables Jocistes. Hier comme aujourd’hui, la liste, il fallait la faire. Un exercice toujours difficile. Elle compte finalement 27 noms dont 24 hommes et 3 femmes en 8, 10 et 19ème positions. Quand je relis avec lui la liste, pas un seul nom ne lui échappe. Il se souvient de tout le monde même si tous sont aujourd’hui disparus.

L’élection municipale de 1947, que cette élection est importante ! Le MRP a donc fait sa liste tout comme la SFIO, le PCF et la droite RPF. Au soir du premier tour, le quarté s’affiche ainsi : en tête les communistes avec 36,95% des suffrages , puis les socialistes avec 28,39%, puis le RPF avec 26,12% et enfin le MRP avec ses 8,6%. En fait, avant le premier tour, la droite a tenté une fusion avec le MRP. Une réunion a même été organisée. Roger Béhague est catégorique : il n’était pas d’accord avec cette option. Pas question de voter à droite pour la place de maire redit-il soixante années après avec la même verve ! La question des alliances s’est finalement posée au second tour. Pour espérer l’emporter, la SFIO d’Arthur Notebart devait obtenir les voix centristes. Roger Béhague est là aussi catégorique : j’ai dit à Jésupret et Charlet qu’il fallait voter pour Notebart. A défaut, il aurait déchiré sa carte. Bref, il faudra retourner aux archives communales pour compléter cette histoire mais c’est un fait qu’Arthur Notebart doit son élection à la détermination de ces militants démocrates-chrétiens de 1947. Sans ironie, Roger Béhague indique qu’ils auraient pu obtenir en retour un poste d’adjoint, fusse-t-il aux cimetières. Il ne semble pas qu’ils en aient gardé quelque amertume. Comme dit Roger Behague, on a voté une fois socialiste, la fois d’après on a revoté MRP. Par contre dans son esprit, ils ne sont pas deux mais trois du MRP à avoir voté Notebart. A vérifier tout comme la place prise par un certain Gabriel Darroux.

Comme militant, Roger Béhague a tout fait. Pour les Sénatoriales, il arpentait le canton de Lomme. Il garde un excellent souvenir du Docteur Defaux, député MRP de Lille, tout comme du Sénateur Maurice Walker. Comme Roger Béhague était chauffeur et que Maurice Schumann ne conduisait pas, il allait le chercher pour le conduire à ses permanences dans les villages. Il se souvient bien que pour Maurice Schumann, l’étiquette ne comptait pas. On aidait un communiste de la même manière qu’un démocrate-chrétien. Je lui rappelle qu’avant-guerre Maurice Schumann était à la Jeune République. Il se souvient de son côté qu’il y avait quelques militants PDP à Lomme. Roger Béhague se souvient également être allé avec Georges Delfosse à Lille, au siège du MRP, à des réunions d’orateurs. Il en convient, à faire des fois, ce type d’exercice même s’il convient de la même manière avec un petit sourire qu’il n’était pas forcément totalement apte à cela.

Quand on lui demande s’il est en bonne santé, il dit que oui. Certes, il est un peu sourd mais à son âge, c’est finalement bien normal. Pour s’entretenir précisément avec lui, il faut bien articuler et répéter les choses. Il doit cependant faire attention à une jambe mais il marche tous les jours. Il ne boit que de l’eau…et du vin blanc. Pas à la maison, chez les autres ou dans des réceptions. Pour l’occasion, il est allé chercher une bière. On trinque au MRP ! Le médecin lui a dit de faire attention à la croûte.

J’ai roulé assez pour voir clair me lance t-il. Il zappe les chaines de télévision. Il me parle en effet de l’arrivée du Pape Benoit XVI à Madrid, en ne comprenant pas pourquoi certains manifestent. Il faut savoir ce que laïc veut dire, ce n’est pas une valeur de gauche ou de droite, c’est une valeur pour tous. Il y en a qui ne connaissent pas bien le français, lance t-il énervé. On ne refait pas un démocrate-chrétien qui a ainsi traversé l’histoire. Lui qui pense qu’il faut continuer d’appuyer sur le champignon…du centre. Pas étonnant qu’il préfère ceux qui aujourd’hui font le Nouveau Centre même si Bayrou reste un chic type. Comme Jean Lecanuet qui a du être le dernier Président du MRP et le premier du Centre Démocrate. J’ai vu dans les yeux de Roger Béhague que Lecanuet était un grand homme ou un chic type, c’est comme vous voulez !

On a parlé de la JOC. En 1937, c’est le 10ème anniversaire de la J.OC. Ils sont 80 000 jeunes à remplir le terrain et les tribunes du Parc des Princes à Paris. Le Cardinal Gerlier se retourne vers Marc Sangnier et lui dit : « Marc, soyez heureux ce soir, car vous êtes l’un des grands ouvriers de la merveille que nous venons de voir. N’est-ce pas le même témoignage que portait François Mauriac le lendemain de sa mort, en écrivant : « tout ce qui est venu après lui du mouvement social catholique lui doit en partie la vie » ?

Ce portrait de Roger Béhague est important. Il rappelle ce que disait Léonard Constant à propos de la Jeune République : « la flamme du dévouement, la vocation de servir ont jailli un soir d’enthousiasme dans le coeur des jeunes ouvriers ».

Nous sommes là au cœur d’une réalité développée par Marc Sangnier qui a cherché à fédérer « dans une même amitié ». Louis Harmel ne disait pas autre chose quand il évoquait la « formation sociale de la jeunesse ouvrière par elle-même, car le Sillon est dans le peuple ».